rse | 28/04/20

Devoir de vigilance

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Tout commence au Bengladesh, près de Dacca, le 24 avril 2014. Ce jour-là, plus de 1 100 ouvriers perdent la vie suite à l’effondrement du Rana Plaza. Ce bâtiment accueillait des milliers de travailleurs Bengalis qui confectionnaient des vêtements pour certaines des plus grandes marques occidentales. Cet accident, qui est un l’un des plus meurtriers de l’histoire du travail, remet en cause les conditions de travail des salariés des pays en développement, qui travaillent pour des entreprises internationales. À la suite de cette catastrophe, seul un très faible dédommagement fut accordé aux familles des victimes. Mais pourquoi ? Car les filiales étrangères des entreprises concernées ne pouvaient être considérées comme moralement responsables même si les activités étaient financièrement liées. Chaque entité était examinée à part, de manière compartimentée. Alors pour tenter de prévenir ce type de risque et de rendre les entreprises responsables de leur chaine d’approvisionnement, des députés français ont travaillé à la création d’un « devoir de vigilance ».

 

La loi n°2017-399 relative au Devoir de Vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre est promulguée en France le 28 mars 2017, en même temps que la loi Sapin II. Elle crée une obligation pour les sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre d’identifier et de prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement qui résultent non seulement de leurs propres activités, mais aussi de celles des sociétés qu’elles contrôlent, ainsi que des activités de leurs sous-traitants et fournisseurs avec lesquels elles entretiennent une relation commerciale établie. Le Devoir de Vigilance permet de reconnaitre l’unicité de la personne morale pour ses ensembles économiques internationaux.

 

Mais à qui s’adresse réellement cette obligation juridique ?

La loi concerne toutes les entreprises françaises, de tous secteurs d’activités confondus, qui emploient :

  • Au moins 5 000 salariés en leur sein et dans leurs filiales directes ou indirectes à la clôture de deux exercices consécutifs, dont le siège social est fixé sur le territoire français.
  • Au moins 10 000 salariés en leur sein et dans leurs filiales directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger.

Au moment de la publication de loi, environ 150 grandes entreprises multinationales établies en France seraient concernées. On y retrouve des multinationales de tous les horizons comme L’Oréal, EDF, Total, Danone, Valeo ou encore le Groupe Renault qui sont assujettis à cette directive.

 

Quelle est la portée du Devoir de Vigilance ?

La loi s’applique aux activités de :

  • La société mère ou la société donneuse d’ordre ;
  • Les sociétés qu’elle contrôle directement ou indirectement, c’est-à-dire les sociétés dont elle détient directement ou indirectement la majorité des droits de vote et pour lesquelles elle désigne, pendant deux exercices successifs, la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance, ou sur lesquelles elle exerce une influence dominante en vertu d’un contrat ou de clauses statutaires ;
  • Les sous-traitants et fournisseurs avec lesquels elle entretient une « relation commerciale établie ». Ces derniers peuvent être ceux de la société mère ou ceux des filiales ou sociétés contrôlées.

Le Devoir de Vigilance couvre toutes les relations que l’entreprise peut entretenir avec des professionnels de rang 1 ou de rang 2, dès lors qu’il y a un échange monétaire. La loi s’applique à l’achat et à la vente de produits et de prestation de services.

 

Quelles sont les obligations définies par cette loi ?

Les entreprises concernées doivent :

  • Rendre publics les plans de vigilance ainsi que les rapports qui sont à inclure dans le rapport annuel établi par la société
  • Conformément à l’article 1 de la loi, qui modifie également le code du commerce français, le plan de vigilance comprend les mesures suivantes
  • Cartographie des risques
  • Procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquelles elle entretient une relation commerciale établie dans la cartographie des risques
  • Des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves
  • Un mécanisme d’alerte et de recueil de signalement relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans la société
  • Un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité

L’esprit de cette loi se base dans les grands principes de la RSE : l’entreprise doit identifier les risques majeurs que son activité génère sur la société et mettre en place une politique de prévention de ces risques dans une démarche d’amélioration continue.

 

Quelles sont les sanctions imposées par cette loi ?

Dans le cas où une société, concernée par le Devoir de Vigilance ne respecte pas la réglementation en vigueur et ne publie pas son plan de vigilance, toute personne justifiant d’un intérêt à agir peut la mettre en demeure de respecter ses obligations. À compter de cette mise en demeure, la société possède 3 mois pour respecter ses obligations et publier son plan de vigilance. Le cas échéant, la juridiction compétente pourra lui enjoindre, sous astreinte, de respecter la loi.

En cas de dommage, l’entreprise pourra également être amenée devant le juge par toute personne justifiant d’un intérêt à agir afin d’obtenir un dédommagement. Pour cela, les demandeurs devront démontrer le lien entre le manquement au Devoir de Vigilance et le préjudice subi, qu’il soit moral, matériel ou physique.

En France, les résultats de l’application de cette loi sont plutôt mitigés. En effet, la plupart des entreprises assujetties publient un plan de vigilance dans leur document de référence. Seulement, le contenu n’est pas toujours celui espéré. En effet, en 2018, les premiers plans de vigilance ne traitaient que de manière superficielle ces enjeux de société pourtant cruciaux. À titre d’exemple plus récent, Total est la première entreprise assignée en justice au regard de cette législation. En effet, en janvier 2020, plusieurs associations et collectivités locales lui ont reproché de ne pas avoir suffisamment adapté son plan de vigilance à la trajectoire 1,5 degrés instaurée par les Accords de Paris.

Toutefois, à travers ce devoir de vigilance, la France a été pionnière en obligeant les entreprises à être transparentes sur la manière dont leurs activités peuvent porter atteinte aux droits humains ainsi qu’à l’environnement. D’autres pays sont actuellement en train de travailler à l’élaboration d’une loi similaire. C’est notamment le cas de l’Allemagne, de la Finlande ou encore de la Suisse. A l’échelle européenne, il se pourrait même que d’ici quelques années, une directive soit imposée à tous les pays membres de l’Union afin de rendre les entreprises juridiquement responsables de leurs actes et engagements. A l’heure actuelle, une directive européenne oblige déjà certaines entreprises des pays membres à traiter les risques sociaux, sociétaux et environnementaux inhérents à leur activité à travers la Déclaration de Performance Extra Financière.

 

Un bon début !

 

Charlotte BRAY – Consultante Développement Durable

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